LE RETRAIT (PARTIE 2): ASPECT THEORIQUE

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Dans l’article LE RETRAIT (PARTIE 1): ASPECT THEORIQUE nous avons examiné rapidement  les différents types de retraits ainsi que leurs origines et caractéristiques. On s’intéresse maintenant aux paramètres qui influencent le retrait dans les bétons.

Les paramètres d’influence externes

La température ambiante

La température ambiante est le premier paramètre à examiner. C’est un paramètre d’influence général parce qu’il agit sur tous les types de retraits (plastique, thermique et de dessication).

Par temps chaud l’eau de ressuage s’évapore plus vite, la dessiccation est prématuré et donc le risque de retrait plastique est accentué. De plus, l’hydratation est plus rapide (c‘est une réaction thermo-activée) donc la chaleur d’hydratation est plus importante. Cette chaleur s’ajoute à la température ambiante. Le squelette solide se forme alors qu’il est dilaté thermiquement, le retrait thermique ultérieur sera donc plus important. Si le béton reste dans un environnement chaud (non abrité du soleil par exemple), le retrait de dessiccation se verra lui aussi augmenté car l’évaporation sera plus forte.

Par temps froid, en règle générale, le bétonnage est déconseillé lorsque la température est inférieure à -5°C. Entre -5 et +5°C, il ne peut se faire qu ‘avec des moyens efficaces pour prévenir les effets du froid. Au niveau du retrait, le froid diminue le retrait thermique, ainsi que l’évaporation de l’eau de ressuage. De plus, la prise intervient plus tard donc le ressuage est plus important (le flux d’eau de ressuage est constant jusqu’au début de prise). La fraicheur limite donc le retrait.

 Humidité de l’air et vitesse du vent

L’humidité est un paramètre fondamental. Elle influence les mouvements d’eau entre le matériau et le milieu ambiant lors d’un déséquilibre. Ces deux facteurs influent sur la vitesse d’évaporation de |’eau. L’abaque suivant, développé par l’American Concrete Institute, permet d’évaluer le taux d’évaporation d’une surface en béton recouverte d’eau. On constate qu’un air humide limite l’évaporation, et que la vitesse du vent l’augmente. Le béton devra idéalement être coulé a l’abri du vent et dans un environnement humide, pour limiter le retrait plastique.

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L’humidité relative est définie comme suit:  HR(%) =P vap / P sat x  avec Pvap et Psat respectivement les pressions de vapeur d’eau présentes dans l’air et la pression de vapeur saturante.

Lorsque la température augmente pour une même pression de vapeur d’eau, l’humidité saturante est plus grande et donc l’humidité relative baisse. Ainsi, si l‘on passe de 20 a 25°C, l’humidité relative peut passer de 100 a 75 %. Si l‘on suit l‘abaque précédent, on retrouve bien qu’une augmentation de la température ambiante (et donc une diminution de l’humidité relative) augmente la dessiccation, et donc le retrait. Si l‘on compare une dalle soumis à des conditions différentes au moment du coulage, on observe une grande différence de vitesse d’évaporation.

  1. Dalle coulée en été : température ambiante de 30°, humidité relative de 30%, soumise a un vent fort de 40 km/h : vitesse d’évaporation de 3,3 kg/mz/h.
  2. Dalle coulée en hiver : température ambiante de 15°, humidité relative de 70_%, protégée du vent : vitesse d’évaporation de 0,2 kg/ml/h

La température des constituants du béton

Les constituants contribuent dans des proportions différentes à l’élévation de la température du béton. Par exemple, pour un béton classique :

  1. Une augmentation de 10°C du ciment élève de 1°C la température du béton.
  2. Une augmentation de 10°C de l’eau élève de 2°C la température du béton
  3. Une augmentation de 10°C des granulats élève de 7°C la température du béton

Une augmentation de la température des granulats de 15°C, par exemple en les exposant au soleil, augmenterait donc la température du béton d’environ 10.5°C. Si l’on reprend l’abaque précédent, avec une température ambiante de 17°C, une humidité relative de 50% et un vent soufflant à 24 km/h, la vitesse d’évaporation de l’eau de gâchage peut être doublée si l’on utilise des granulats plus chauds de 15°C (sans même prendre en compte la chaleur d’hydratation supplémentaire).On comprend donc l’importance de stocker les granulats a l’ombre, et l’influence de leur température sur le retrait plastique et thermique.

Récapitulatif des différents facteurs externes d’influence

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+++ Forte augmentation / – Diminution

Les paramètres d’influence internes

Le rapport E / C

Le rapport Eau / Ciment est un paramètre qui influence directement la résistance du béton ainsi que l’amplitude du retrait. Le but d’un mélange hydraulique est d’apporter juste assès d’eau pour hydrater le ciment. Cette apport initial d’eau s’appelle le gâchage.  En pratique, on ajoute cependant une quantité d’eau supplémentaire est ajoutée pour permettre au béton frais de s’étaler facilement dans les coffrages.

  • Le retrait endogène augmente avec la hausse de la densité des hydrates (E/C faible) car les dépressions capillaires sont plus fortes. La diminution d’eau permet non seulement de diminuer le volume total des pores mais aussi de réduire leur diamètre. ainsi pour , E/C de 0.45 à 0.25 le volume total des pores passe de 40% a moins de 20% , et dans le même temps, le diamètre moyen des plus gros pores diminue d’un facteur 10.
  • Le retrait de dessication diminue avec la hausse de la densité des hydrates( E/C faible) car l’évaporation de l’eau est plus faible.

En conclusion le retrait endogène est prépondérant pour les bétons ayant un E/C Faible. Il convient de prendre des dispositions de cure à court terme pour s’assurer de limiter les effets du retrait dans ce cas.

 La rigidité et le volume des granulats

Soit g le pourcentage massique de granulat d’un mélange et n = 1.2@1.7 , alors le retrait observé d’un béton vaut :

Équation du retrait – Influence des granulats

Cela signifie qu’une augmentation du volume des granulats produit immédiatement une baisse du retrait. Le retrait d’une pâte de ciment est supérieur au retrait d’un mortier qui est lui-même supérieur au retrait d’un béton. Cela peut s’expliquer par plusieurs phénomènes. Les granulats de pars leur rigidité s’opposent aux déformations; le retrait sera donc diminué par ce phénomène.

D’autre part, la pâte de ciment, en se rétractant, provoque une contrainte de compression sur les granulats qui se traduisent par des efforts de traction à l’interface pate de ciment/granulats. Lorsque ces contraintes dépassent la résistance en traction de la pâte, des microfissures se développent autour des granulats, généralement de direction normale a la surface des granulats.

  P13 De telles fissures peuvent être relativement importantes (3 micro d’ouverture), d’autant plus que cette zone appelée auréole de transition » est fragile car très poreuse. Ce réseau de fissures va créer une relaxation du matériau qui contrebalance en partie le retrait.  Ces deux phénomènes expliquent la diminution du retrait provoquée par l’inclusion granulaire.

Une augmentation de la taille des granulats tend à réduire le retrait : en remplaçant des gravillons O/10 par des O/40, on peut diminuer le retrait global de l’ordre de 30%. Leur forme est aussi importante pour la maitrise de la fissuration, mais n’influe pas la valeur du retrait. Les formes allongées, plates; résistent mal a la fissuration. ldéalement, il faut des granulats anguleux, avec des dimensions similaires dans les trois dimensions.

 Effet de l’humidité et de la porosité des granulats

Les granulats humides rendent au fil du temps l’eau qu’ils contiennent. Ils agissent comme des réservoirs, et injectent de l’eau dans la matrice cimentaire, d’autant plus qu’ils sont poreux. L’eau va être puisée par la dépression capillaire environnante, Iorsque I’eau de gâchage n’est plus disponible pour |’hydratation. Elle va donc ré-alimenter Ies pores en eau et réduire Ies vides gazeux créés par la contraction Le Chatelier. Le ciment continue donc de s’alimenter, et donc Ies pores de rétrécir._ La << succion capillaire » devient plus intense, et permet au ciment de continuer son alimentation et ainsi de réduire significativement la porosité de la matrice cimentaire : l’auto-dessiccation s’en voit diminuée.En surface, la dessiccation accélère le raffinement des pores et donc la succion capillaire, ainsi le béton de surface devient plus dense en moins de temps. Cela diminue la quantité d’eau potentiellement évaporable : le retrait de dessiccation est donc aussi réduit.Ce phénomène est a la base de ce que l‘on appelle la « cure interne du béton ». Il faut cependant tenir compte de l‘humidité des granulats dans la composition du béton, pour éviter un excès d’eau et une baisse des résistances mécaniques.

L’influence du ciment et des ajouts cimentaires

Les industriels utilisent des ajouts cimentaires pour valoriser certains déchets et modifier les propriétés mécaniques des ciments. Ces ajouts ne sont pas sans conséquences sur la contraction du matériau. En général, pour minimiser le retrait, il est préférable de choisir une addition dont la demande en eau est faible (en général plus la finesse de l’ajout est grande, plus la demande en eau est importante). Cela permet en outre de limiter le dosage en super-plastifiant pour une fluidité donnée.

  •  La finesse de mouture du ciment

On peut mesurer la finesse de mouture d’un ciment grâce à sa surface spécifique, exprimée en cm2/g. Elle représente la surface totale des grains d’un gramme de ciment, et augmente avec la finesse du broyage. Elle est de l’ordre de 3000cm2/g. Plus le ciment est broyé finement, mieux les grains de ciment s’hydrateront (la surface spécifique attaquable est plus grande), et plus le réseau poreux sera étroit. L’humidité interne diminuera plus vite, il s’en suit donc une augmentation du retrait endogène, qui apparait aussi plus rapidement. Il s’avère aussi que la chaleur d’hydratation augmente à peu près proportionnellement avec la surface spécifique, ce qui tend à augmenter le retrait thermique.

  •  La fumée de silice

La fumée de silice est une pouzzolane artificielle très fine (100 fois plus fine que le ciment) issue de la fabrication du silicium. Elle est ajoutée dans la composition des BHP car elle augmente les résistances mécaniques du béton. En effet, la petite taille de ses grains permet de remplir l’espace entre les grains de ciment, et ainsi diminuer les vides ; elle est aussi très réactive du fait de sa très haute teneur en silice amorphe. Les bétons contenant des fumées de silice sont particulièrement enclins au retrait plastique car leur ressuage est généralement très faible. En outre, la substitution du ciment par de la fumée de silice provoque une diminution du diamètre des capillaires et donc une augmentation du retrait endogène : elle provoque une diminution de l‘humidité relative interne, ce qui engendre alors des dépressions capillaires plus conséquentes. Elle contribue donc a la sensibilité des BHP vis-à-vis du retrait endogène. Enfin, l’expérience montre que le retrait de dessiccation survient plus rapidement pour ces types de bétons.

  • Les cendres volantes

Elles sont les résidus de Ia combustion du charbon dans les centrales thermiques. Elles ont un pouvoir pouzzolanique et, réagissent comme la fumée de silice, avec Ia portlandite pour former d’autres CSH, améliorant ainsi la résistance. Elle permet en outre de réduire la chaleur d’hydratation, et d’améliorer la plasticité pour une même teneur en eau. Les ciments à base de cendres volantes sont sensibles au retrait plastique et au retrait endogène car, au même titre que la fumée de silice, les cendres provoquent un raffinement des pores du béton. Le retrait de dessiccation n’est pas augmenté par l’ajout de cendres, même fines. On peut même voir, dans certains cas, une légère diminution. Du fait de la réduction de la chaleur d’hydratation, elles diminuent Ile retrait thermique et préviennent notamment le risque de fissuration dans Ies pièces épaisses.

  • Les fillers calcaires

Ce sont des ajouts minéraux très fins. Ils augmentent la sensibilité au retrait plastique car, au même titre que la fumée de silice ou les cendres volantes, ils diminuent la taille des pores en remplissant Ies vides. En revanche, pour des dosages et des finesses de fillers courants (BAP courants), ils n’ont pas d’influence significative sur Ies retraits à long terme, malgré leur forte demande en eau (le retrait supplémentaire est probablement compensé par leur gonflement par absorption d’eau).

 L’influence des adjuvants

  • Les agents entraineurs d’air

L’adjuvant n’a pas d’effet chimique en revanche, la présence de bulles d’air de rigidité nule augmente le retrait.

  • Les réducteurs de retrait

Le but des réducteurs de retrait est de diminuer la tension de surface de l’eau et donc de réduire les dépressions capillaires. Le retrait peut ainsi être limité de 25 % à 50%.

  • Les agents fluidifiants (super-plastifiant et réducteur d’eau)

Les super-plastifiants permettent de réduire la quantité d‘eau de gâchage pour une même ouvrabilité, et donc d’améliorer la résistance  du béton. Sans super-plastifiant, les grains de ciment et les fines se  regroupent en floculats, du fait de leur interaction électrostatique .L’eau qui se trouve entre ces floculats sera  emprisonnée, et ne contribuera plus a la fluidité de la pâte de ciment. L’ajout d’une quantité supplémentaire d’eau sera nécessaire pour obtenir l’ouvrabilité souhaitée. Le super plastifiant apporte des charges négatives autour des grains de ciment, qui vont à présent se repousser. Cette défloculation permet une meilleure ouvrabilité en permettant à l’eau emprisonnée de participer à fluidifier la pâte, et une meilleure dispersion des grains de ciment. La distance entre les grains de ciment étant plus importante dans le cas des mélanges avec super-plastifiant, il faut plus de temps pour que les premiers hydrates se ramifient et créent un squelette rigide : la prise apparait donc plus tard. Ce retard va provoquer un risque d’évaporation prématurée accentué, en ce sens la présence de super-plastifiant augmente le retrait plastique. ll ne semble pas influencer significativement le retrait a plus long terme, si ce n’est que la réduction d’eau permise par sa présence modifie les valeurs des retraits endogène et de dessiccation.

crédit Article Camille Lemoine
crédit photo 96 dpi@flickr.com